Notre intermède musical écoulé et consommé, délaissant la plaine, nous reprenons là où nous avons laissé les Carpates orientales et manoeuvrons vers l’ouest sur la route 12C, remontant la rivière Bicaz et sa fameuse gorge, Cheile Bicazului, passage vertigineux vers le col du même nom (1256 mètres). Marquant la frontière entre les comtés de Neamt et Harghita, c’est notre porte d’entrée en Transylvanie.
Nous nous immisçons donc parmi les palissades de calcaire qui dominent le bitume de quelques centaines de mètres, évoluant dans un univers épuré, d’abord sous la pluie et éclairage métallique insolite, rayons solaires filtrés par des nuages bleu noir qui reluisent sur l’asphalte mouillé, puis sous les feux de la rampe quand survient un dégagement spectaculaire, les sommets chauves de ce recoin des Carpates aux premières loges de notre spectacle risible, témoins de nos efforts au fond de l’abîme. Une série de lacets nous propulse ensuite à l’étage de Lacu Roşu (lac rouge), village touristique exploitant ce plan d’eau d’origine volcanique, puis la route se hisse hors de la sombre vallée pour filer au col Bicaz. Des chiens errants, qui sont légions en Roumanie, nous y accueillent. Nous nous lançons dans la descente vers le plateau et la ville de Gheorgheni, qu’on appelle aussi Gyergyószentmiklós, en hongrois, puisque nous trouvons au pays des Sicules ou Széklers, chez cette tribu magyare établie en Transylvanie depuis le Moyen-Âge.
En naviguant parmi les artères de la petite ville, nous avons la nette impression d’avoir franchi une autre frontière tellement les contrastes avec les régions de Maramureş et Moldavie sont flagrants: le chaleureux chaos organique que nous y avons perçu fait tout de suite place à un ordre et une propreté qui frisent la froidure et l’austérité—coïncidence, on dit que c’est aussi la région la plus froide du pays! Nous y faisons la rencontre de la rivière Olt, important affluent du Danube qui prend sa source dans les parages du col Bicaz. Dans la contrée des Széklers, le cours d’eau enfile une série de plateaux contenus par d’imposants massifs carpatiques, autant de terrasses qui abritent et nourrissent les Miercurea Cliuc, Tuşnad, Sfântu Gheorghe et une litanie de villages impeccables aux enseignes bilingues et poteaux coiffés d’immenses nids de cigognes vacants en la saison. Nous descendons la rivière ainsi jusqu’au bassin et grande ville de Braşov ou Brassó, comme on l’appelle en hongrois, ou encore Kronstadt, en allemand…puisque nous nous trouvons désormais dans la région saxonne de la Transylvanie. À n’en pas douter, les Carpates et la Roumanie offrent une grande diversité culturelle que soudent des couches historiques d’une complexité inouïe, truffées d’intrigues, rebondissements et bouleversements…encore de quoi se délecter et « capoter »!
« Chers « Nomades », j’aime votre projet et c’est avec plaisir que je m’occuperai de votre hébergement lors de votre séjour à Braşov. À bientôt!
Joseph
Directeur de l’auberge Centrum House Braşov »
Cette invitation tombe bien puisque nous devons nous poser quelques jours pour rédiger et accueillir notre premier visiteur de cette odyssée vélocipédique. En fait, il s’agit de la première personne qui s’envole pour venir pédaler un bout avec nous depuis 1999! À la fois conseiller chez MEC et cuistot dans un bon resto de Québec, François, qui a déjà effectué une traversée du Canada et en redemande, profite d’une vacance d’un mois pour venir rouler un brin dans les Carpates, ici, et les Balkans, en Bulgarie, puis en Thrace jusqu’au Bosphore et Istanbul, en Turquie. Il atterrit à Bucharest et nous nous sommes fixé un rendez-vous à l’aéroport. Je—Pierre au clavier du blogue en français tandis que Janick rédige les billets en anglais…deux langues, deux auteurs et deux textes distincts et souvent complémentaires!—prends le train avec mon vélo pour effectuer l’aller-retour depuis Braşov, histoire de lui souhaiter la « bine venit » en Roumanie et le ramener au Centrum House où nous passons quelques jours à rédiger, correspondre, planifier et nous familiariser avec cette ville fabuleuse.
Nous rejoignant en plein milieu de notre troisième et ultime escapade carpatique, François se lance sur la route avec nous pour boucler un circuit tout en montagnes et dépaysements exquis au cœur des Alpes de Transylvanie. Au menu, plus d’une demi-douzaine de cols, deux routes altières mythiques, j’ai nommé la Transfăgărășan et la Transalpina—celle-ci atteignant le point culminant du réseau routier roumain à 2141 mètres et pas encore officiellement ouverte—, pléthore de bleds hallucinants dont Rășinari, berceau de mon penseur fétiche, E.M. Cioran, tout ça en quelque 500 bornes. Bref, « capoter » avec nous dans les Carpates!
La n eige s’ en vient.Ça semble froid pour la traversée des cols. IL y a un avantage: la conservation des denrées.!!! Vous êtes réellement en dehors des circuits. Bravo pour votre audace. Bonne continuation à vous trois.
Je fais de belles découvertes en vous suivant.
Bonne continuation.