Entre Sliven et Istanbul, le piémont du Grand Balkan et la rive européenne du Bosphore, nous parcourons la Thrace, région mythique que se partagent aujourd’hui la Grèce, la Bulgarie et la Turquie. D’abord dans la Vallée des Roses, nous roulons avec notre pote Jean-Martin, loquace boute-en-train, vers l’Orient et la mer Noire, nous familiarisant, entretenant et réconfortant chemin faisant avec les multiples formes de la culture bulgare : bactériennes, vinicoles et…humaines! Le yogourt authentique, lactobacillus bulgaricus, fait partie de notre hygiène quotidienne, le mavrud, cépage de raisin noir qu’on ne cultive qu’ici, agrémente nos soirées et l’accueil des Thraces du 21ième siècle nous réchauffe le cœur et sait nous remonter le « Canayen »!
Avec un bon vent en poupe, nous longeons pendant des dizaines de bornes les monts Grebenets, chaînon balkanique s’élevant sur notre gauche à plus de 1000 mètres, et roulons ainsi à vive allure sur l’accotement de la nationale #6. Les vignobles qui bordent la route sont dépouillés et le brouillard s’empare de la Vallée des Roses, ce qui teinte d’une couche glauque l’atmosphère. L’embaume plutôt, comme une huile essentielle ici…un parfum envoûtant et révélateur!
Parvenus à Karnobat, l’une de ces capitales régionales de l’industrie vinicole en Bulgarie, nous délaissons la grand-route pour suivre un itinéraire vers le port de Burgas prescrit par Google mode « piéton ». Cette stratégie nous sourit et propulse sur un parcours thrace marquant! Faisant le plein à Karnobat et pédalant en fin de journée dans les brumes de la plaine, glaciales en la saison, nous souquons ferme à gravir et dévaler les imposantes collines qui nous séparent encore du rivage de la mer Noire, ocres, chauves et foulées de paysans en charrettes qui se meuvent tels des vaisseaux fantômes dans la grisaille. Remplissons d’eau 2 Dromadaires de 4 litres chacun, ces pratiques outres synthétiques de MSR, à la source du village de Detelina, histoire de pouvoir souper et déjeuner quelque part dans les champs boueux—tout ce tchernoziom fertile qui ramollit et devient adhésif avec l’humidité ambiante. Mais comme nous ne trouvons rien de satisfaisant, nous poursuivons dans le brouillard jusqu’au village de Krushovo où débarquons vers les 17h00, une vingtaine de minutes suivant la tombée du jour…court, court ces temps-ci! Le village semble à demi-abandonné. Attirés par une fenêtre éclairée du premier étage de l’immeuble municipal qui domine la place centrale, spectrale dans ces conditions, et évoque une époque plus florissante, nous allons frapper à la porte qui la jouxte, celle du bureau de poste. Nous sommes accueillis par le chien de garde qui sitôt sonne l’alerte, espèce de shitsu tout mélangé. C’est Bouffonne, l’animal de compagnie du nouveau maître-poste de la bourgade réduite à 80 habitants, Kasimir, ingénieur chimique à la retraite. Quand il comprend que nous voulons camper à côté de l’édifice, il refuse catégoriquement, s’offusque presque même et nous invite plutôt à le suivre de l’autre côté de la rue où il nous déverrouille les portes d’un café à la dégaine post-communiste, son établissement et…notre chambre pour la nuit!
Suivant une visite du proprio en règle, des toilettes à la cuisine, Kasimir nous remet la clé et quitte : « J’ai encore quelques heures de boulot à accomplir! » lance-t-il. Nous campons dans la salle à manger, vélos stationnés entre les tables et matelas gonflés sur les banquettes. Une trentaine de minutes plus tard, pendant que nous « popotons » sur notre XGK EX, qui rugit, sirotant un mavrud de Karnobat et dégustant olives noires en guise d’apéro, Kasimir réapparaît avec un sac de bois de chauffage sur le dos, un réservoir de rakiya—eau de vie bulgare à base de raisins—et une demi-douzaine de convives dont deux Anglaises, l’une à la retraite—« mon mari est Thrace! »—et l’autre dans la force de l’âge, qui coulent des jours paisibles ici…comme plusieurs de leurs compatriotes d’outre-Manche depuis l’inclusion de la Bulgarie en 2007 au sein de l’Union Européenne, facilitant et garantissant l’achat de propriétés. S’ensuit une longue soirée, arrosée et enfumée, à échanger et sympathiser…Kasimir et Bouffonne sont repartis avec du rattrapage à faire! Difficile de sortir l’aubergiste du maître de poste!
Nous évacuons les toxines de la veille sur la trentaine de bornes vers Burgas, nous livrant à un slalom horizontal et vertical passant par les bleds de Asparuhovo, Troyanovo, Ravnets et Bratovo. Intégrant le port de mer par sa cour arrière et franchissant sa zone industrielle qui orbite autour de la raffinerie de la russe Lukoil, plus important chantier de la Bulgarie et ancien lieu de travail de Kasimir, nous découvrons une ville dynamique et sophistiquée dont le centre, essentiellement piétonnier et ouvert sur la mer, regorge de cafés, restos, galeries d’art, musées, salles de classe et somptueuses demeures. Comme un important système dépressionnaire s’acharne sur la région, nous nous réfugions dans une minuscule chambre à 3 lits d’une auberge à rabais où subissons le joug d’un étrange préposé jouant les geôliers. Dès que les averses, bourrasques, tonnerre et éclairs s’estompent, nous en profitons pour nous évader et nous enfuir vers Sozopol, plus au sud sur la côte, fabuleuse cité antique empilée sur une péninsule escarpée avançant dans la mer Noire qui fut tour à tour thrace, grecque, romaine, byzantine, ottomane, bulgare, …
Nous poursuivons en marge du littoral de la mer Noire vers le sud et l’Orient sur la nationale 99. À Tsarevo, la route délaisse la côte et s’attaque aux monts Strandja, massif au relief accidenté, planté de chênes endémiques et très peu peuplé. Même si l’asphalte y est dévoré par l’érosion et la négligence ou manque de ressources, c’est un passage privilégié entre la Bulgarie et la Turquie. En faisant escale aux villages de Balgari, Kondolovo et Gramatikovo, où on célèbre le rite immémorial de la danse sur charbons ardents, le nestinari, nous découvrons que la chaîne de montagnes est aussi un bastion d’anciennes traditions thraces. Mais ce n’est pas la saison! Balgari, où nous avons campé sur le perron de la mairie, avait tout d’un village fantôme. Nous gagnons Malko Tarnovo, carrefour délabré à une dizaine de kilomètres de la frontière où nous rejoignons une route plus importante mais pas plus achalandée, la nationale 91 ou continentale 87. Nous y dépensons nos derniers levs et poursuivons l’ascension vers un p’tit col de quelque 700 mètres d’altitude et énième formalité administrative et bureaucratique, le tamponnage de nos passeports…
Entrés en Turquie comme dans un moulin—nous nous étions prémunis de visas sur le site Internet du gouvernement, une opération aussi simple que de faire un achat en ligne!—, désormais en Thrace orientale qu’on appelle Trakya ici et toujours dans les monts Strandja, nous dévalons du poste frontalier sur une véritable autoroute flambant neuve et déserte. Coups de pédale surréalistes qui contrastent bien avec les chaussées rencontrées dans la campagne bulgare. Le crépuscule nous prend de court encore une fois et nous sortons de l’autoroute au village de Dereköy, le premier depuis les vigies, comptoirs et baraquements militaires de la frontière, en pleine obscurité. Le charbon brûle dans tout bon foyer de ce bled à vocation forestière et nous nous installons au premier restaurant sur lequel pouvons poser notre regard. L’accueil est torride, littéralement, et on emplit la table de victuailles que nous engouffrons au fur et à mesure qu’elles apparaissent sur la table : corbeille de pain, salade, soupe aux lentilles, köfte (boulettes de viande hachée) et thé…encore et encore! La facture est plutôt salée, voire gonflée, mais somme toute négociable. Repus, nous montons la tente sur la pelouse devant l’édifice d’à côté, les bureaux locaux du ministère des forêts et parcs, et nous assoupissons avec l’impression d’avoir été roulés…première leçon au pays des bazars et marchands invétérés : toujours demander le prix d’un repas avant de le commander et surtout l’engloutir!
Reposés et remis du léger décalage culturel qui accompagne notre passage de la Bulgarie à la Turquie, nous reprenons l’autoroute qui oscille sur les contreforts méridionaux des Strandja jusqu’à la ville de Kirklareli. Prenant une pause d’une couple d’heures au centre-ville, nous laissons libre cours à nos têtes et papilles qui se vissent et dévissent! Hormis une çiorba iskembe (soupe aux tripes) commandée involontairement, tout indique que nous nous plairons et délecterons ici…
Quittant Kirklareli sur le Sentier du Sultan, circuit historique retraçant les pas de Soliman Le Magnifique entre Vienne et Istanbul, lui qui est revenu bredouille de ses deux tentatives de conquérir la capitale autrichienne lors de ses expéditions de 1529 et 1532, nous franchissons les multiples cours d’eau qui descendent des monts Strandja et filent vers la mer Marmara, se tapant descentes et ascensions d’une centaine de mètres, parfois le double, avec des vents du nord-nord-est soufflant dans les 30-40 km/h. L’accotement est inexistant et la ligne blanche forme une crête inégale, ondulée et glissante. Périlleuses manoeuvres de funambules sur le bitume. Sur un autre parcours thrace, nous relions ainsi les villes provinciales de Pinarhisar, Vize et Saray où bifurquons vers le sud et le rivage de la mer Marmara, faussant ainsi compagnie à Soliman et son « sentier ». En route, nous traversons l’agglomération de Çerkezköy, espèce d’avant-poste augurant la conurbation d’Istanbul, puis l’autoroute principal provenant d’Europe. Sur la côte, nous multiplions les détours afin d’éviter de rouler sur l’infâme D100. Nous tâchons de pédaler le plus près possible de la mer, nous lançant sur des rues qui semblent déboucher sur d’autres…un souhait qui ne se réalise pas toujours!
Cette stratégie nous réussit quand même et nous permet d’arriver à Selimpaşa où un autre Samaritain se pointe au bon moment. Produisant le signe universel pour « dodo », mimant sur le trottoir, il nous invite ensuite à le suivre jusqu’à la porte d’un magasin utilisé comme entrepôt agricole. Kasim nous explique le fonctionnement de la serrure, nous remet une clé qu’il nous demande de laisser au commerce voisin, un p’tit magasin d’alimentation, puis nous souhaite les bonne nuit et bon voyage. Nous demeurons tous trois bouches bées! Même si abonnés depuis des années à ces largesses, élans de générosité et prouesses d’hospitalité, pure ouverture entre étrangers, nous sommes estomaqués et touchés…à chaque fois! Grâce à cette contribution, il ne reste plus qu’à réaliser le dernier parcours thrace, une mission on ne peut plus urbaine et contemporaine celle-là, pédaler jusqu’au cœur d’Istanbul, sur la rive européenne du Bosphore, le caravansérail des caravansérails. Étape importante et significative de cette odyssée vélocipédique, ce sera l’occasion de nous regrouper et reprendre notre souffle…comme des milliers de caravanes avant la nôtre!
Allo, je viens de voir votre blog par une amie, Suzanne Grenier et aussi juste avant votre départ, j’ai rencontré Pierre au Barber Shop à Baie St-Paul chez mon amie Dany la barbière! Wow vos photos sont magnifiques et vos textes captivants. Quel voyage vous faites! Je vous admire… Bonne route! Manon
Quel plaisir de suivre votre périple!Vous êtes de vrai beaux aventuriers.
Istanbul, Constantinople, Byzance, contez-moi tout, tout, tout. Ma/Notre prochaine destination planifiée pour le printemps prochain.
il faut me donner ton truc pour te remémorer tous les noms de villages impossible à prononcer .Tu es(vous êtes) vraiment très forts pour saisir la réalité historique de votre périple. Bravo pour avoir jouer aux nomades pour nous! C’ est du grand vélo que seuls des cyclistes expérimentés peuvent se vanter. Vite je veux aller à votre conférence . Merci
Bonjour!
Toujours beau voyage…
Vous n’aimez pas la soupe aux tripes turque? Moi j’aime bien et j’en prend parfois dans les restos turcs de brème.
bonne continuation et bon changement d’année!
Hi. I’m a friend of Simon Taylor and Isabelle Bedard. I arrive in Capadoccia on Saturday and they sent me your blog. Beautiful! Will you still be there next week? Perhaps I can come and say hello but no problem of you want some peace or will have left by then 🙂
Hi Kate! Thanks for connecting!
We jusr arricved in Nigde, 85 km south of Nevsehirm where the Gumusler old monastery and underground city are to be found, and we’ll leave on Friday, heading to Cammardi, Pozanti and the Mediterranean Coast,,,coming this way? You can also contact us by e-mail: info@nomadesxnomades.com
Enjoy Amazing Cappadocia!
J+P
Dear Pierre, wellcome to the city of ‘strawberry fields forever’..The last Yoruks ares ‘yellow goats’ and they to reside in here… SALUT:)