Même si nous avons passé des Fêtes plus que chaleureuses en Cappadoce, à pédaler l’hiver en Anatolie il était inévitable que nous rattrape, justement, l’hiver! Nous avons quitté le plateau volcanique et ses troglodytes sympathiques au moment où s’amenaient une tempête de neige ainsi qu’une vague de froid cinglante sur la péninsule anatolienne et le Levant, le même système météorologique qui est allé rendre encore plus misérables les conditions de survie dans les camps de réfugiés syriens de la région. La tempête meurtrière, baptisée « Zina » au Liban, a même su imposer son propre cesser-le-feu en Syrie et nord de l’Irak…s’il neigeait et faisait froid plus souvent!
Diaporama Cappadoce
(pause en plaçant la souris au-dessus des images)
Apanage des recoins magiques de notre planète, dont fait sûrement partie la Cappadoce, il n’est souvent pas aisé d’en sortir…surtout quand s’invitent de sérieux problèmes d’ordre logistique, informatique! Les cartes graphiques de notre portable rendant l’âme à Uçhisar en une longue et lente agonie, sessions se terminant inopinément les unes après les autres avec le satané écran « bleu de la mort », nous n’avons pu accomplir péniblement qu’une infime partie des tâches que nous nous étions fixées pour ce séjour en caverne. Sensibles à nos déboires, nos hôtes des Maisons de Cappadoce, Alsihan et Kubilai, nous aident à entreprendre les démarches à distance, en turc, auprès du centre de service autorisé de la marque de notre ordi et nous proposent de demeurer dans leur grotte luxueuse une couple de nuitées supplémentaires, jusqu’à l’arrivée des prochains clients qu’on attend pour la veille du Jour de l’An.
Nous remontons en selle et sortons d’Uçhisar en empruntant une piste crayeuse qui dévale une arête surplombant la vallée Blanche, dédale d’hoodoos évoquant à la fois les œuvres de Dali et Freud. Nous émergeons sur le bitume puis mettons le cap sur Göreme où érigeons nos quartiers deux jours au très convivial Rock Valley Pansion, le temps d’aller faire nos dévotions de touristes au musée en plein air du parc national de Göreme, site de vestiges de monastères rupestres, et arpenter la vallée des Pigeons, autre secteur de tuf métamorphosé par l’érosion en chef-d’oeuvre sculptural. Profitons de cette escale dans la “capitale de Cappadoce” pour dénicher d’autres pistes afin d’aller nous perdre parmi encore plus de formations géologiques éclatées chemin faisant vers le bled de Çavuşın et la ville d’Ürgüp via les vallées Rose, Paşabağ, Zelde et de Dervent: vélo de montagne extraterrestre!
Suivant une arrivée qui n’augurait rien de bon avec la mort d’un pneu, notre séjour à Ürgüp fut plutôt fécond en rencontres et soutien, une escale qui s’est elle aussi prolongée! Nous nous dirigeons premièrement vers les quartiers généraux d’Argeus Tur, une agence de voyages qui organise aussi des événements sportifs d’envergure dont le fameux Presidential Cycling Tour of Turkey. Le patron est un ami et partenaire d’affaires de Kubilai, notre pote d’Uçhisar. Comme nous planifions envoyer notre portable au centre de service d’Istanbul à partir d’ici, il s’agit de voir si nous ne pourrions pas utiliser l’adresse de l’un de leurs collègues sur la côte méditerranéenne turque, plus loin sur notre route, là où hiverneraient des clans de nomades Yörüks, afin de le recevoir lorsque réparé. Allant au devant de nos besoins, le manitou du “Tour” nous prête un ordinateur qui en arrache un peu lui aussi—pile morte et plantage systématique à l’insertion d’un périphérique USB…—mais fonctionne. Nous sommes ravis d’autant plus que le système d’exploitation Windows XP est en turc…dans les circonstances, un prêt formateur et éducatif!
Puis une autre rencontre faste, non-planifiée celle-là, qui nous verra passer une deuxième nuit à Ürgüp et une enième en Cappadoce, survient lorsqu’un vendeur de tapis invite Janick prendre un thé à l’intérieur de son établissement pendant que je suis parti expédier notre portable. À mon retour, loin de vouloir nous vendre un kilim, l’inénarrable Ayrtan insiste pour que nous restions jusqu’à ce que revienne du marché hebdomadaire une amie de la maison, petit empire familial bâti sur les tapis, les “jeep-safaris”, trips de montgolfières et hôtellerie, une Canadienne qui fréquente et apprivoise l’Anatolie depuis une trentaine d’années. Deborah, comptable retraitée qui réside sur l’île de Vancouver, prend plaisir à partager trouvailles et anecdotes récoltées ici au fil de ses nombreuses visites, les éléments d’un bouquin sur lequel elle besogne depuis tout ce temps. Ipad à la main, elle cite des passages ou griffonne de nouvelles notes tout en racontant l’histoire de sa vie. Sa devise : « Le voyage vous change ou n’est pas! »
Nous plions bagage et mettons le cap sur les monts Taurus et la côte méditerranéene, respectivement les résidences d’été et hiver des clans de Yörüks vivant toujours au rythme des cycles de transhumance de leurs troupeaux de chèvres et moutons, les prochains sur notre liste de suspects. À peine 5 bornes au sud d’Ürgüp que nous délaissons la route principale à Mustafapaşa, village de maisons de pierres équarries accrochées aux parois abruptes d’un canyon et principalement habité d’Anatoliens d’origine grecque, pour nous hisser hors de la Cappadoce via un p’tit col de plus de 1500 mètres et les bleds d’Ayvali et Güneyce. Nous renouons avec la grand-route à Kaymakli, reconnue pour sa cité souterraine, puis gagnons Derinkuyu après avoir essuyé une première bordée de neige accompagnant l’impressionnante dépression qui s’installe sur toute la région. La plus grande ville souterraine découverte à ce jour en Turquie—20 000 personnes pouvaient s’y réfugier et vivre confortablement pendant des mois soit le temps d’un siège durant les interminables guerres arabo-byzantines (634-1180) : 7 étages ventilés d’appartements, étables, réfectoires, chapelles, écoles, celliers, entrepôts, presses à raisins et olives, …—gît sous nos pieds mais nous laissons filer l’occasion d’y descendre et optons plutôt pour un sprint vers la capitale provinciale de Niğde, une cinquantaine de kilomètres plus au sud, tentant d’y arriver avant que ne sévisse le blizzard annoncé. Les prévisions indiquent aussi qu’une vague de froid intense avec maximum de -10 et minimum de -20 marqueront les prochains jours.
Réfugiés climatiques pendant 4 jours dans un hôtel de Niğde, nous en profitons pour rédiger et prodiguer quelques soins à nos Trolls dont changement de pneus, chaînes, pignons et cassettes. Après 8000 kilomètres de loyaux services, nos Michelin ont fracassé des records personnels de longévité et la marque continue de s’élever avec un Wild Race’R Reinforced 2.25” qui continue de rouler et deux autres qui n’ont été que remisés pour jouer le rôle de prochains pneus de rechange, remplacés par des Wild Grip’R Advanced Reinforced 2.35” flambant neufs…histoire d’avoir plus de mordant sur les routes altières et givrées qui nous attendent vers Çamardi, petite ville sise au pied du massif Ala Dağlar, au coeur des Taurus!
Par une belle journée d’hiver, ensoleillée et croustillante, nous quittons Niğde. À l’orée de la ville, nous faisons escale au village de Gümüşler pour flâner parmi les vestiges laissés par d’autres moines des cavernes de l’époque byzantine, puis reprenons la route qui avance et se hisse parmi les arpents immaculés s’étirant de toutes parts. Que du blanc et azur jusqu’au sommet d’un col de 2000 mètres où nous apercevons le village d’Özyurt, ramassis de quelques maisons d’éleveurs sédentaires quasi-désertées en la saison. Nous sommes accueillis par un groupe de chiens-bergers Kangal, ces formidables et redoutables molosses d’Anatolie. L’alerte qu’ils ont lancée fait sortir de son antre un homme qui croit halluciner en voyant ce couple et leurs deux vélos chargés. Comme c’est la tombée du jour, il demande où nous comptons passer la nuit…une question que nous lui retournons! Il se gratte la tête, nous fait signe d’attendre et nous laisse avec les Kangal pour retourner dans la maison à la cheminée fumante, la seule des kilomètres à la ronde. Il revient avec un trousseau de clés et nous invite à le suivre jusqu’à un édifice à l’entrée du bled, la salle communautaire de cet alpage incorporé. Nous poussons les vélos dans la neige jusqu’à l’intérieur, espace meublé et éclairé, puis nous installons devant un portrait d’Atatürk approbateur. Nous y montons la Hubba Hubba, gonflons les Neo-Air, “popotons” sur notre MSR et visionnons un film sur notre portable de courtoisie…
Nous sortons de notre gîte au même moment que les moutons se font escortés hors de leur étable par nos hôtes et leurs Kangal puis amorçons la longue descente vers Çamardi. Dangereusement glissante au début, la simple trace asphaltée recouverte de neige et de glace devient de plus en plus praticable à mesure que le jour avance, que se dégagent des plaques puis des couloirs noirs que nous alignons entre deux sessions dans la sloche. Le parcours sinueux longe le cours de la rivière Ecemiş, passe par le bled d’Üçkapili et s’enfonce à travers une gorge étroite qui débouche sur un plateau dominé par le chaînon de l’Ala Dağlar et le mont Demirkazik (3756 mètres), socle où est érigé le centre administratif de Çamardi. L’appel à la prière de 14h19 se fait entendre tandis que nous commandons nos çorba mercimek (soupe aux lentilles) et döner kebap au poulet dans un lokanta (restaurant) de la rue commerçante. Un client de la table d’à côté se présente et s’enquiert au sujet de nos déplacements. Isa Akpinar est guide de montagne et dirige sa propre agence: “L’été, les montagnes sont pleines de Yörüks!” contribue-t-il. Nous pouvons bien imaginer la scène. Mais c’est l’hiver en Anatolie et c’est plutôt en-bas et plus au sud, sur la côte méditerranéenne, que nous devons poursuivre notre p’tite enquête…belle balade en perspective et méchant changement de saison!
Content de vous retrouver.
Je commençais à m’ennuyer 🙁 🙁 ……. 🙂
Salut les amis,
quelles photos de la Capadoce, Nous avons eu froid pour vous , alors que nous nous réchauffons au soleil du Mexique jusqu’en mars.
bonne route.
“Chaque fois que l’on plonge vers l’inconnu, il y a une porte du ciel qui s’ouvre. La Providence apparaît. Dieu aime les nomades, ceux qui se donnent, s’abandonnent.”
Serge Ouaknine, écrivain
Ciao à vous deux,la Cappadoce et l’ Anatolie font des photos mémorables. La visite des bleds perdus est votre marque de commerce. Aimez- vous mieux changer un pneu ou flatter un berger Kangal? Un hiver rigoureux ns fait aimer les vêtements adaptés aux montagnes, j’ai eu froid pour vous. Faites attention à l’ Égypte avec ses enlèvements inopinés. TAKE CARE .
Salut Denis! Merci pour ton message, ton intérêt et…tes p’tites tapes sur les épaules!
De loin, changer un pneu! À moins que le berger soit parmi nous et nous présente doucement à son Kangal!
En Égypte et ailleurs, avons toujours les “antennes” sorties et opérationnelles! Pas question de verser dans les cascades géopolitiques…on “check” ça!