En quittant la côte de l’océan Indien et mettant le cap sur l’ouest pour des retrouvailles anticipées avec le grand Rift africain au lac Nyassa, nous entreprenons d’abord une longue ascension vers la ville de Songea qui s’est traduite en un divertissant passage entre cajous, monts et camions!
Nous avions établi depuis longtemps que poursuivre plus au sud sur la côte Swahilie, franchir le Ruvuma et passer au Mozambique n’était malheureusement pas une option en raison des risques que posent la violence et l’insécurité liées au conflit armé entre forces nationales et insurgents se réclamant de l’État Islamique (ISM) dans la région de Cabo Delgado. Sévissant depuis plus de 5 ans, cette lutte se déploie avec, entre autres enjeux socio-économiques et litiges politiques majeurs, d’importants gisements de gaz naturel que tente d’exploiter la multinationale française TotalÉnergies comme toile de fond—des soldats de l’armée nationale rwandaise, débarqués récemment pour protéger le chantier de la pétrolière, font les actualités ces temps-ci… Bref, tous les « bons » ingrédients requis pour une tempête parfaite! Mais nous avions envie aussi d’explorer le sud de la Tanzanie, renouer avec les décors volcaniques du Rift et évoluer dans les hautes terres dont font partie les monts Kipengere, Livingstone et les fameuses Southern Highlands de la Tanzanie, ces étages à l’air climatisé naturel—ça rafraîchit de 6 degrés Celsius par tranche de 1000 mètres!
Nous quittons notre « bureau » à l’hôtel Luwa Evergreen de Mtwara. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Au partir de Mtwara donc, nous avons choisi de délaisser la nationale T6 pour quelques jours et gravir la pente douce des versants orientaux du plateau de Makonde jusqu’au chef-lieu de Newala où le massif, culminant à plus de 700 mètres, domine abruptement le fleuve Ruvuma et la frontière avec le Mozambique. Un chapelet de villages ponctue le trajet de quelque 150 kilomètres. Outre les habituels arbres fruitiers et plantations de cassave, essentiels de la subsistence, on remarque l’omniprésence des anacardiers, ces arbres dont le fruit renferme la noix de cajou ou korosho en kiswahili. L’intérieur de la région de Mtwara, soit les recoins sud-est du pays, en est presque entièrement tapissé. C’est après l’échec britannique du « Plan arachide Tanganyika » (« Tanganyika Groundnuts Scheme ») au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui incarne dans les annales le comble de la bêtise de l’entreprise colonialiste—on y a engouffré l’équivalent d’un milliard de dollars pour se rendre compte après quelques années d’efforts colossaux et infructueux, incluant construction puis démantèlement d’une voie ferrée, que le sol et le climat étaient impropres à la culture des arachides…—que les Tanzaniens ont découvert que les anacardiers se plairaient chez eux! Aujourd’hui, les noix de cajou sont les fruits de la culture de rente la plus exportée de Tanzanie avec 90% de la production qui quitte le pays. En 2020, le total des ventes de leur exportation a atteint les 356 millions de dollars. Pendant nos coups de pédale vers Songea, la floraison des anacardiers débutant à peine, on était surtout affairé à asperger les précieux arbres de pesticides, arrosoirs à moteur sur son dos en boda boda ou à vélo…
Nombreux face à face joyeux sur les premiers 25 kilomètres de la route vers Newala avec convois de vélos transportant charbon de bois vers Mtwara. À en juger par les cyclistes qui nous ont ou que nous avons dépassés, filant dans la même direction que nous pour un deuxième ou troisième aller-retour de la journée, nous constatons le sérieux de l’enteprise! Couper tous les arbres requis pour obtenir ces briquettes de charbon ou bois de chauffage pour cuisiner, ce processus de déforestation intensif pour nourrir la majorité de la nation a des impacts majeurs sur l’environnement. D’ailleurs, un ambitieux programme national de « nettoyage de la cuisine » a été mis en branle par le gouvernement tanzanien. Il vise le sevrage de 80% des foyers de l’utilisation de la forêt pour préparer la nourriture d’ici 2034. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Fagot de paille à vélo! Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Nous faisons le plein de mi-journée dans un mgahawa digne du guide Michelin! Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Autres retrouvailles anticipées, celles-ci avec la latérite ou murram, cette garnotte équatoriale bien pigmentée! La notion du temps vacille et nous plongeons dans le moment présent lorsque nous nous propulsons à vélo sur ces pistes sublimes. Nos montures Panorama Cycles Boréal, pneus Maxxis Rekon et suspensions Redshift ShockStop Pro Endurance carburent à ces bonnes vibrations, procurent d’excellentes sensations de pilotage et rehaussent l’expérience. Sur les 150 kilomètres entre Mtwara et Newala, un segment d’un peu plus de 80 kilomètres, au milieu, n’est pas encore pavé. Qu’une question de temps avec le chantier « chinafricain » que nous y avons franchi. Avec celui du tramway de Dar es Salaam et du port de mer de Kilwa Masoko, c’est le troisième que nous croisons. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Chipsi Mahay (omelette de frites) et bonne dose de lipides au village de Nanyamba. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Notre caravane ne passe pas inaperçue une couple de villages plus loin. Nous avons pédalé vers Newala durant les dernières journées d’une vacance scolaire. Les watoto (enfants) sont omniprésents. Selon les données du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), les 0-14 ans comptaient pour 43% des 69 millions de Tanzaniens en 2024. Le taux de fertilité atteint 4,5 watotos par femme soit le double du taux mondial et 3 fois celui du Canada. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Le vieux fort allemand (boma) de Newala, occupé encore par la police locale il y a quelques années seulement, sombre tranquillement sur son promontoire. Force est d’admettre qu’on n’a ni les ressources ni le désir de maintenir les vestiges du patrimoine colonial ici—et ça se comprend! Le vieux boma de Mikindani étant une exception puisque « sauvé » par un obnl britannique. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Juste à côté du vieux fort allemand de Newala, à travers la broussaille, on peut apercevoir l’ampleur du précipice surplombant le fleuve Ruvuma—bandes de sable visibles, en beige—et, par-delà, le Mozambique. Étonnant qu’aucun belvédère n’y soit aménagé pour profiter des panoramas 270 degrés époustouflants qu’offre cet escarpement du plateau de Makonde. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Brève escale à Newala le temps de comprendre le choix des premiers Makonde—c’est aussi le nom d’un groupe ethnique—à s’y établir tant le site semble imprenable et arpenter le bord de l’escarpement afin d’y trouver des points de vue…balade plutôt décevante même si nous arrivons à saisir dans quels décors fantastiques nous nous trouvons! Nous enchaînons le lendemain avec une descente vertigineuse et panoramique vers la nationale T6 et la p’tite ville de Masasi, capitale tanzanienne du korosho! Sitôt le point culminant du plateau de Makonde franchi qu’on peut apercevoir les hallucinants inselbergs, ces îlots de granite, qui émergent autour de Masasi et plus à l’ouest dans la plaine où slalome la T6 vers Tunduru. Cap sur le nord pour 70 bornes avec vent en soutien pour la première fois…tout comme la force gravitationnelle!
Le début de la descente et segment le plus abrupt asphalté depuis une période précédant l’ère des travaux de la « Chinafrique », un peu comme sur la route entre Mtwara et Newala, un chantier mis en œuvre par des entreprises chinoises remet à niveau un tronçon de quelques dizaines de kilomètres au milieu du trajet vers Masasi. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Le pied vers Masasi! Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Tapi aux pieds d’une couple d’inselbergs dont certains arborent des peintures rupestres d’origine paléolithique et s’étirant sur quelques kilomètres de part et d’autre de la T6, le bourg de Masasi bourdonne. En plus d’abriter entrepôts et comptoirs pour le négoce de la noix de cajou, le carrefour joue les « pit stops » pour la légion de camionneurs qui font l’aller-retour entre la mine de charbon de Ngaka, à l’ouest de Songea, et le port de Mtwara : nos compagnons de route pour la prochaine semaine! Ça va changer des convois de vélo chargés de charbon de bois!
À l’ère de la décarbonisation de l’économie—vraiment?—, les vastes réserves de houille de la Tanzanie ont la cote, surtout en raison du conflit en Ukraine—certains pays d’Europe cherchent à se sevrer de leur dépendance à l’énergie russe—et de son « partenariat » avec la Chine. Comme sur la nationale T7 avec les vraquiers du béton entre Dar es Salaam et la cimenterie Dangote, 500 kilomètres plus au sud, les conducteurs apprennent à nous « reconnaître » et semblent prendre plaisir à suivre nos lents progrès…ça nous réconforte de le penser, en tout cas!
Plantation d’anacardiers en marge de la nationale T6 à l’ouest de Masasi. Les Portugais auraient été les premiers à importer des graines en Afrique de ces arbres originaires du Brésil. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Par monts et par vaux au pays des cajous! Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Trio enjoué en quête d’eau sur leur vélo-cargo…un vélo tirant une remorque plus exactement! Région de Ruvuma, République unie de Tanzanie.
Suivant un passage intimiste entre deux pains de sucre granitiques, encore ces fameux inselbergs, ma première crevaison du voyage…intrusion d’une broche de pneus plus gros! Région de Ruvuma, République unie de Tanzanie.
Au terme d’une session sur la route de 7 jours et 400 kilomètres depuis Mtwara et l’océan Indien, nous débarquons à Tunduru, autre carrefour majeur de la nationale T6 et centre minier qui connaît une véritable ruée vers les pierres précieuses depuis le début des années 1990—rubis, saphirs et alexandrites—et expansion depuis la mise à niveau du segment routier Namtumbo-Tunduru il y a une quinzaine d’années. À près de 800 mètres d’altitude, l’air est vivifiant et nous décrétons une journée de congé. Nous en profitons pour faire la lessive sur la tuile impeccable de notre lodge et tenter de nous réapprovisionner en thon. Nous avons essuyé un cuisant échec avec cette mission-ci! Pas de protéines en boîte à Tunduru…
Poulet grillé, frites, bière, football et bongo flava, ce hip-hop aromatique de Tanzanie qui fait un tabac ces temps-ci, au convivial pub Brazil City de Tunduru! Région de Ruvuma, République unie de Tanzanie.
Petit-déjeûner au réputé Tunduru Raha avec ses chapatis calorifiques et thé sucré au gingembre! Région de Ruvuma, République unie de Tanzanie.
Une centaine de bornes à l’ouest de Tunduru, les villages plus rares et la route épousant une arête sinueuse et interminable oscillant autour des 800 mètres, notre plaisir vélocipédique grimpe. Mais lorsque nous nous retrouvons à franchir deux segments d’un corridor faunique reliant les réserves Selous, en Tanzanie, et Niassa, au Mozambique, les plantations d’anacardiers cédant la place à la forêt primaire, il atteint des sommets! Nous traversons la route migratoire ancestrale de dizaines de milliers d’éléphants!
Quel plaisir de pouvoir vous relire après tout ce temps de silence …
Bravo à vous deux! J’ai enfin trouvé votre site (très poche avec les ordis). Je vais vous suivre maintenant, tellement intéressante votre description et les photos donnent le goût de partir!!! Bonne route à vous deux!!!????????????
Adorable, ça nous donne le goût de tâter l’Afrique encore plus.