Le climat tropical de la Tanzanie, mû par les humeurs de l’océan Indien, produit généralement deux saisons des pluies qu’entrecoupent deux saisons sèches, longues et courtes, alors que dans le sud du pays elles se fondent plutôt en deux longues saisons…comme ici et maintenant sur la côte Swahilie méridionale : l’hiver des baobabs!
Dans le noir, le soir.
Auto dans la campagne.
Baobabs, baobabs, baobabs,
Plaine à baobabs.
Baobabs beaucoup baobabs
Baobabs
Près, loin, alentour,
Baobabs, baobabs.
Dans le noir, le soir,
Sous des nuages bas, blafards, informes,
Loqueteux, crasseux,
En charpie, chassés vachement
Par vent qu’on ne sent pas,
Sous des nuages pour glas,
Immobiles comme morts sont les baobabs.
En remplaçant certains mots de cet extrait du poème de Michaux, son célèbre Télégramme de Dakar, soit les termes « noir », « soir » et « auto » par « clarté aveuglante », « jour » et « vélo » on obtiendrait presque un résumé télégraphique et poétique de notre périple depuis Dar es Salaam. Mais encore faudrait-il supprimer les allusions à ces nuages sombres et raturer le vers « Par vent qu’on ne sent pas » puisque la balade de quelque 650 kilomètres s’est plutôt déroulée sous un soleil implacable et face à un vent du sud constant et bien nourri! Mais il faudrait également ajouter d’autres détails, quand même…
À notre sortie du Galivanter’s Hostel, nous relions le quartier de Masani au centre-ville de Dar es Salaam en empruntant le pont Tanzanite. Réalisé par une firme d’ingénérie sud-coréenne et inauguré en 2022, c’est le plus long aménagement de traverse d’Afrique de l’est en vertu de ses 1030 mètres de longueur. Région de Dar es Salaam, République unie de Tanzanie.
Embarquement sur le traversier de Kigamboni qui relie le centre-ville de Dar es Salaam et la rive sud de la métropole tanzanienne. Nous sommes les derniers passagers à prendre place pour la traversée… Région de Dar es Salaam, République unie de Tanzanie.
Avec du recul, nous pouvons affirmer que notre plan de passer 4 jours au Gallivanter’s Hostel dès notre atterrissage à Dar es Salaam, ce retour en Afrique et reprise de l’odyssée vélocipédique NOMADES² suivant un hiatus de nomadisme sur deux roues de 8 ans, aura été judicieux. Décalage horaire en s’enfilant 7 fuseaux, certes, mais aussi renouer avec d’anciens alliés du monde microbiologique et, surtout, la chaleur! C’est ce qui nous frappe le plus d’ailleurs durant ce camp d’entraînement car il s’agit également de nous remettre en forme! Pédaler 4-6 heures par jour sous les 35°C…ayoye!
Judicieux aussi notre choix de sortir de la ville du côté de Kigamboni, sur la rive sud de Dar es Salaam, diminuant ainsi les risques de surdose du chaos inhérent à cette métropole de plus de 8 millions d’habitants dont le nom arabe signifie, ironiquement, « Maison de la paix »! L’intensité et la frénésie urbaines ont gravi quelques échelons aussi depuis notre dernière escale ici avec la population de la ville qui n’atteignait pas encore 5,5 millions en 2016. Augmentation similaire pour celle de la Tanzanie qui a “engraissé” de quelque 15 millions d’homo sapiens au cours des 8 dernières années…
Nous rejoignons la nationale T7, que nous emprunterons jusqu’à son terminus méridional, juste au nord de Vikindu. Nous sommes sortis de la région administrative métropolitaine mais évoluons toujours sous le joug de son chaos organique comme en témoignent la densité de la circulation, la diversité des engins et la témérité des manoeuvres de navigation! Nous prenons place dans ce carrousel démentiel et effréné: la voie prudente et lente de l’accotement!
Toujours prêts à encourager collègues sur deux roues…surtout quand il s’agit de friandises rafraîchissantes et revigorantes! Région de Pwani, République unie de Tanzanie.
À partir du village de Mkuranga, à quelque 50 bornes au sud de Dar, le débit routier baisse en intensité et ainsi nous perdons surtout la compagnie de légions de dala dala (minibus) et p’tits camionneurs pressés. Nous partageons désormais la route avec vraquiers, bus longue distance—ces terreurs des routes africaines…dire qu’ils transportent surtout des êtres humains!—, moins de dala dala, des boda boda (motos taxis) et…des bicyclettes!
Une nouvelle routine s’installe. Elle consiste à rouler pendant 60-90 minutes puis prendre une pause dans un mgahawa (casse-croûte), pub ou kiosque d’une Mama Lesha (cuisinière « publique ») pour manger chapatis swahilis (pensez aux crêpes…), chipsi mahay (omelette aux frites), grillades, et/ou haricots et boire thé (avec chapatis le matin), boissons gazeuses ou bières froides…puis recommencer! Bananes, papayes et oranges pullulent durant l’hiver des baobabs—et c’est aussi l’hiver des mangues, malheureusement! Nous achetons les fruits de familles productrices qui les étalent en marge de l’accotement de la T7, devant leur maison et jardin. Puis avant la fin de la journée, nous tâchons de trouver une lodge ou guesthouse (p’tite auberge) pour nous laver/rafraîchir en prenant une douche ou nous aspergeant d’une louche et dormir dans une chambre préférablement munie d’un ventilateur. Elles nous coûtent entre les 15 000 et 30 000 shillings tanzaniens (1 $=1900 shillings). Ces tarifs des plus abordables sont bienvenus car tenter de dormir sous la tente dans la plaine côtière à mijoter dans la marmite tropicale enrobés de notre marinade de sueur, poussière et particules carboniques comporte son lot d’inconforts…vivement les hautes terres!
Dans cette routine quotidienne aussi, les centaines d’authentiques gestes d’accueil et ouverture de nos hôtes à commencer par les interminables et divertissantes salutations en kiswahili : Jambo! (Salut!) Mambo? (Comment ça se passe?) Poa! (Ça s’passe bien!) Poa, poa! (Ça s’passe superbement bien!) Habari? (Comment ça va?) Safi! (Pur, propre!) Freshi! Safari njema! (Bon voyage!)
Première nuit de « camping » dans la chambre à air climatisé et grouillante de moustiques du Tanganyaka Lodge, à Ikwiri. Région de Pwani, République unie de Tanzanie.
La côte méridionale est l’une des régions les moins peuplées de la Tanzanie. Quoique marécageuse et inhospitalière, de plus en plus de familles s’y installent ou relocalisent en raison de l’augmentation fulgurante de la population partout dans le pays. Des éleveurs nomades dont nous avons visité les territoires traditionnels plus au nord durant la première étape de ce projet, dans la savane du Grand Rift et sur les plateaux avoisinants, convergent maintenant dans le delta du fleuve Rufiji avec leurs bovins. On y pratique surtour une agriculture de subsistence avec potagers, arbres fruitiers, plantations de manioc et champs de millet. La pêche aussi dans le delta que pratiquent surtout les membres du groupe ethnique originaire de la région, les Ndengereko. Durant l’hiver des baobabs, vélos et boda boda transportent de spectaculaires chargements de manioc et poches de charbon de bois. Dans les landes au nord et sud du delta, en fin de journée, défilent devant nos roues des hordes de singes verts (vervets) en cavale…
On s’en va jardiner en famille et à vélo. Beaucoup de travail à faire sur les petits lopins du delta suite à une saison des pluies des plus abondantes cette année. Crues et inondations en mars et avril ont emporté quelques centaines de personnes tant en Tanzanie qu’au Kenya plus au nord. Région de Pwani, République unie de Tanzanie.
Bras principal du fleuve Rufiji, plus long cours d’eau de Tanzanie, photographié depuis le pont Mkapa et la route nationale T7. S’étirant sur plus de 600 kilomètres, il franchit une bonne partie de la fameuse réserve faunique Selous et rejoint l’océan Indien en un delta couvert de savane inondable qui abrite l’une des plus vastes mangroves du globe. Région de Pwani, République unie de Tanzanie.
Poissons-chats fumés du delta pêchés à la fascine. Région de Pwani, République unie de Tanzanie.
Surprise réciproque dans le delta du Rufiji entre nomades pastoralistes de la savane et vos cueilleurs d’histoires à vélo, nomades d’office! Des pressions sur ce mode de vie traditionnel qu’exercent entre autres l’augmentation de la population, la diminution de la superficie du territoire—accaparement des terres, création de parcs et réserves, …—et les plus en plus précoccupants aléas liés au réchauffement climatique planétaire forcent les éleveurs irréductibles à migrer avec leurs bêtes vers des espaces moins convoités tel le delta du Rufiji. Ici, en compagnie de pastoralistes Sukuma dont le territoire traditionnel se situe plutôt entre le lac Victoria et le Serengeti. Nous avons également croisé des Maasai et Barabaig. Région de Pwani, République unie de Tanzanie.
Changement de région administrative, mêmes route nationale, chaleur torride et vent en proue! Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
« Pit stop » dans un mgahawa (casse-croûte) du village de Somanga que traverse la nationale T7. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
À l’orée du bled-carrefour de Nangurukuru, habitation traditionnelle et son jardin. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
À quelque 400 kilomètres de Dar es Salaam, nous complétons la première étape de ce camp d’entraînement en gagnant Kilwa Masoko, sur la côte, l’un des sites les plus emblématiques de la côte swahilie. C’est d’ailleurs le désir de nous imprégner plus de cette culture et civilisation ayant dominé les routes commerciales du pourtour occidental de l’océan Indien pendant des siècles, suite à notre premier contact à la fin du voyage précédent à Pangani et sur Zanzibar, que nous avons choisi de commencer la présente étape à parcourir la côte swahilie méridionale. Depuis Nangurukuru et la T7, c’est un aller-retour de 80 bornes. Nous attire surtout ici l’île de Kilwa Kisiwani, sise juste en face du port de Kilwa Masoko, masse de calcaire ceinturée de mangroves, plantée de baboabs et truffée de vestiges des empires maritimes et commerciaux des Perses, Portugais et Omanis de Zanzibar qui s’y sont succédés. On estime qu’à son apogée, l’île abritait le plus imposant bâtiment de pierre, la plus grande mosquée et la toute première monnaie de l’Afrique sub-saharienne. On y tranisgeait l’or du Zimbabwe, l’argent, les pierres précieuses, l’ivoire, la myrrhe, l’ambre gris, l’encens, les épices et les esclaves. La fondation de Kilwa Kisiwani remonterait à la fin du Xème siècle quand le fils du sultan de Shiraz, Hassan bin Ali, s’y serait installé. Ibn Battuta, le Marco Polo du Maroc, y a fait escale en 1323 et s’est exclamé : « …élégamment construite, parmi les plus magnifiques cités! » Nous prendrons donc congé de la bicyclette une journée pour aller visiter le site qui fait partie de la liste de l’UNESCO. Nous établissons nos quartiers dans une banda toute équipée du Kilwa Dreams Beach Resort, un véritable havre de paix. Nous l’insrivons sur notre propre liste de sites à retourner…pour de « vraies » vacances!
Notre banda de luxe au Kilwa Dreams Beach Resort, camp de base pour une excursion archéologique sur l’île de Kilwa Kisiwani. On dirait que nous y sommes parvenus par des voies séparées. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
À bord d’une dhow vers l’île de Kilwa Kiwisani et les vestiges des empires commerciaux perse, portugais et omani qui s’y sont succédés. On peut apercevoir les ruines en très bon état de la forteresse Gereza dans le coin droit supérieur. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Festin #2 au Kilwa Dreams Beach Resort où nos métabolismes respectifs commencent à réaliser que nous sommes bel et bien de retour sur la Route…ce qui fait toujours plaisir à nos hôtes! Au menu ce soir : purée de pommes de terre, curry aux légumes, salade de tomates, oignons rouges et lime, sauté de bœuf du terroir et crevettes GÉANTES…miam! Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Adorables et radieuses, Makrina and Tausi, les assistantes de Gladys et Peter au Kilwa Dreams Beach Resort, tout comme la nouvelle mascotte de l’établissement paradisiaque, le chien swahili Bingo, nous remettent à la route. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
“Freshiiiiii!” Au retour de Kilwa Masoko vers la nationale T7, ratrappés par un livreur de thon frais à bord de son boda boda. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
C’est l’hiver pour les baobabs… Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Retrouvailles avec la valse des jerrycans jaunes d’Afrique, chorégraphie kilométrique et le plus souvent quotidienne pour aller quérir l’élément essentiel au maintien de la vie…l’eau! Mieux à vélo que sur son dos! Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Descente vers la baie et la ville de Lindi. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
On dit que l’ancien bâtiment administratif du gouvernement colonial allemand (« boma ») ne tient encore debout que grâce au « soutien » des figuiers qui y poussent et l’assimilent… Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
À la tête de la baie de Lindi, de nombreux marais salants produisent par évaporation le sel marin. Ce kilo nous aurait coûté 1000 shillings tanzaniens soit près de 0,60 $ canadien. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Depuis Mingoyo, terminus méridional de la nationale T7 et début de la T6, en route vers Mtwara. Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Dans la « semi-auberge » de Monsieur Mgonga, au hameau de Madangwa, premier bivouac sous les étoiles…ou presque! Nous anticipons avec hâte notre prochaine et imminente ascension vers les étages à l’air climatisé naturel… Région de Lindi, République unie de Tanzanie.
Ascension hors de la vallée de la rivière Mambi vers Mtwara. On peut apercevoir juste derrière Janick, de l’autre côté de la route, l’une de ces carrières artisanales où surtout femmes et enfants percutent à coups de marteau pierres pour en faire des cailloux. Un peu plus loin sur ce plateau, nous passons la cimenterie Dangote, la plus importante du pays et véritable aimant à vraquiers. En fait, c’est le plus gros rassemblement de semi-remorques que nous ayons vu. Comme la majorité effectuent leurs allers-retours vers le nord, nous bénéficierons d’une p’tite vacance en poursuivant vers le sud puis l’ouest! Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Bienvenue à Mikindani l’atmosphérique! Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Réputé meilleur hôtel du sud de la Tanzanie, l’Old Boma est à la fois l’attraction principale et pôle d’activité de la petite ville de pêcheurs de Mikindani. L’ancien fort et quartier général régional de l’administration coloniale allemande a été construit en 1895. Même si les Britanniques ont remplacé les Allemands dans ce rôle au tournant de la Première Guerre Mondiale, le bâtiment a perdu sa vocation de siège du gouvernement du sud de la colonie en 1947 quand on a déménagé fonctionnaires et papareasse dans la nouvelle ville de Mtwara, créée tout spécialement pour assumer cette fonction. L’ancien boma allemand a été restauré dans le respect des méthodes traditionnelles de construction grâce au soutien et à l’inititiative d’un obnl britannique, Trade Aid UK. L’organisme continue de se servir de l’établissement pour éduquer et former gratuitement Tanzaniennes et Tanzaniens dans les domaines du tourisme responsable, de l’entreprenariat, de l’environnement et de la conservation. Région de Mtwara, République unie de Tanzanie.
Nous éprouvons un étrange dépaysement en pédalant vers le centre de la p’tite ville de Mtwara, plus importante agglomération sur la côte swahilie méridionale entre Dar es Salaam et l’embouchure du fleuve Ruvuma, à moins d’une cinquantaine de bornes d’ici, frontière avec le Mozambique. C’est que le design urbain déroute avec ses larges avenues, rond-points et terre-pleins. Les vastes lots aussi du quartier de Shangani, où nous nous trouvons, bien installés à l’hôtel Luwa Evergreen pour rédiger ce billet. Normal, c’est la réalisation des Britanniques qui voulaient en faire la capitale régionale de leur colonie en 1947…14 ans avant l’émergence de la Tanzanie moderne et indépendante! Peut-être que la matérialisation des espoirs liés à la découverte de nouveaux gisements de gaz naturel au large d’ici et Lindi tout comme la réalisation des promesses politiques de construire une rafinnerie et station de pompage permettront de réactiver la vision des concepteurs de Mtwara. En attendant, il est intéressant d’observer des micro-villages croître organiquement dans les interstices de la matrice des Anglais!
Notre arrivée à Mtwara marque le terme de ce camp d’entraînement auto-prodigué. Nous nous sentons plus résistants à la chaleur et nous commençons à éprouver d’agréables sensations à pédaler sur nos Boréal…enfin, les hormones refonctionnent! Ça tombe bien puisque nous mettrons le cap vers l’ouest et le lac Nyasa (Malawi), histoire de célébrer des retrouvailles avec le Grand Rift cette fois, via le plateau de Makonde, dominant le canyon du Ruvuma, et les sommets des fameuses Southern Highlands de Tanzanie. Retour imminent en hautes terres et fin de l’hiver…des baobabs!
Beaux vélos, beau set-up, aérodynamisme testé allègrement, ventilateur naturel opposé aux désirs de la volonté, le retour sur la route ne vous réservent point de surprises si ce n’est que des rappels enfouies dans l’oublie. Les photos n’ont d’égales que la beauté des textes. Ça nous abreuve et crée une dépendance ! Je m’accroche à vos sacoches… pour la suite .