« Les éleveurs de rennes n’ont pu compléter le marquage des veaux puisqu’il fait trop chaud. Ils sont redescendus de leurs pâturages d’été et devront y retourner d’ici la fin du mois. Et vous disiez que voulez camper ici, au village? Mais il y a un lac à 5 kilomètre d’ici, avec une table de pique-nique, ce serait beaucoup plus chouette » nous renseigne et prescrit la tenancière du kiosque/station-service d’Övre Soppero, bled same s’étirant le long de la E45. Ici, aux confins de la Suède sur le plateau marécageux que drainent la rivière Torne et ses affluents, la route déroule son asphalte gondolé parmi lacs, eskers et forêts de bouleaux nains, essence caractéristique de la taïga lapone.
L’espoir au cœur—peut-être pourrons-nous entrer en contact avec des éleveurs de rennes et les accompagner lors de leur retour aux pâturages d’été, pensons-nous—, nous pédalons jusqu’au lac et sa table de pique-nique plantée juste au-dessus des berges de sable doré. Appuyons les Trolls de chaque côté de la table et commençons à nous déshabiller. À peine nos chemises déboutonnées que nous sommes assaillis par brulots invisibles, escadrilles de mouches noires et essaims de maringouins. Nous nous contentons d’un bain partiel et érigeons nos quartiers. Pendant que notre réchaud vrombit, une camionnette arrive avec une femme au volant. Les portières s’ouvrent et sortent 4 garçons torses nus, canne à pêche à la main, et une fillette, bien emmitouflée. Les p’tits gars sont déjà dans le lac, l’eau à la taille, s’éclaboussant et pêchant simultanément tandis que la blondinette attend que sa mère sorte de la voiture et la prépare pour sa baignade de fin de journée. Celle-ci s’exécute, lance quelques recommandations aux gamins puis nous salue. Sa petite taille, ses yeux bleus rapprochés légèrement en amandes et son visage bien galbé et basané la trahissent : c’est une Sami. En conversant, nous apprenons qu’elle revient tout juste des pâturages d’été de sa siida (terme sami désignant à la fois une communauté faisant l’élevage des rennes et le territoire où l’activité se déploie), en Norvège, et qu’elle doit y retourner dans une semaine ou deux pour compléter le marquage des veaux…quand il fera moins chaud!
Se poursuit notre entretien. Elle parle de son mode de vie avec passion et nous donne la chair de poule. Elle ajoute même que son garçon de 8 ans sait déjà découper au couteau les oreilles des veaux avec les entailles distinctives de leur siida…exécuter le marquage! Quand nous lui demandons si nous pourrions les accompagner, insistant sur le fait que nous saurions bien nous conduire et subvenir à nos besoins là-haut, elle refroidit nos ardeurs : « Ce sera une expédition difficile et compliquée ce coup-ci car les rennes se déplacent vers le nord. Nous irons donc les rejoindre par le côté suédois, en empruntant une piste qui débute près d’ici, puis nous formerons un convoi de vtt pour avancer là où il n’y a plus de route…désolée! Si vous aviez passé un mois plus tôt, ce n’est qu’une randonnée de 3 heures depuis la fin de la route, au parc national Øvre Dividal, du côté norvégien. Ça nous aurait fait plaisir! »
Ce passage sur la E45, en route vers une première visite en Finlande et retour en Norvège, nous donne quand même des ailes puisque les informations que nous avons recueillies à Kiruna, au Sametinget (parlement same de Suède), puis à Jukkasjärvi, au quartier général de la siida Nutti, n’étaient pas trop réjouissantes : « Tous les éleveurs de rennes de Lapland ont terminé avec le marquage des veaux et sont de retour dans leurs villages » nous affirme au téléphone une employée du parlement en vacances. Au moins, nous avons pu profiter de notre visite à Jukkasjärvi pour nous familiariser avec la culture et les traditions sames grâce à la générosité d’Ida, nomade et femme d’affaires qui opère avec son partenaire, Nils, une entreprise d’éco-tourisme.
Nous a remonté le moral aussi notre escale à Svappavaara, à l’intersection entre les E10 et E45 une cinquantaine de kilomètres à l’est de Kiruna, quand Roberto, un expatrié chilien installé en Suède depuis 30 ans, nous a invités en espagnol à souper chez-lui et dormir dans sa roulotte. L’énergique plombier rencontré à l’épicerie s’est servi de sa passe de sécurité de contractant à la mine de fer d’à côté, raison d’être du p’tit village, pour nous la faire visiter en camion. Sans débarquer de son véhicule, nous nous sommes faufilés à l’intérieur même de chaque structure correspondant aux divers stades de transformation du minerai : des cailloux extraits dans un cratère à ciel ouvert où nous sommes aussi descendus en camion jusqu’au bâtiment abritant billes de fer prêtes à prendre le train pour le port de mer de Narvik, en Norvège! Gracias Amigo!
Depuis la roulotte de Roberto, mettons le cap vers le nord sur la E-45 jusqu’à Karesuando et la rivière Konkämä, la frontière entre la Suède et la Finlande, via les villages sames de Vittangi, Övre Soppero et Idivuoma. Sur l’autre rive de la Konkämä, descendons son cours sur une quarantaine de bornes puis bifurquons vers le nord à nouveau sur la route 93 et franchissons le parc national Pallas-Yllästunturi avec ses tourbières et tunturis, sommets de quelques centaines de mètres et milliards d’années bien érodés, jusqu’au centre de services d’Enontekiö. Y faisons le plein puis poursuivons vers la Norvège, les eskers obligeant les ingénieurs de la route à créer des montagnes russes de faible amplitude : des monticules de sable émergent ci et là des arpents de p’tits bouleaux et tapis de mousse. Au dépanneur/resto/station-service/camping de Palojärvi, rencontrons les propriétaires de Reindeer Canada, seuls éleveurs de rennes chez-nous : « Venez nous rendre visite lorsque vous passerez à Inuvik! » nous lancent-ils en retournant dans leur voiture.
Mais nous demeurons en Laponie et réintégrons la Norvège. De plus en plus de lacs et de moins en moins de végétation à mesure que nous progressons vers le nord. À Kautokeino un samedi, décrétons la pause pour rencontrer lundi différents acteurs des institutions sami locales—85% de la population parle la langue de nos premiers nomades ici. Nous nous installons dans un chalet de l’Arctic Motell sur invitation d’Henriette, same elle aussi mais pas issue d’une famille d’éleveurs : « Je descends d’une famille de marchands. » Lundi, faisons le tour des divers bureaux pour apprendre que les rennes sont plus au nord, sur la côte, sur notre route vers l’extrémité septentrionale de ce continent, Nordkapp…bonne nouvelle! La moitié du cheptel norvégien se démène dans le comté de Finnmark soit 100 000 rennes. Pour mieux faire passer notre message et nous faire inviter, nous nous entretenons en ondes avec une animatrice de la chaîne NRK Sapmi, filiale de la radio et télé nationale en Norvège…nous en attendons toujours des retombées!
Plus au nord, faisons escale au village same de Masi. Peut-être que ça veut dire « Moïse » puisqu’il a été littéralement sauvé des eaux dans les années 1970 quand l’opposition des habitants au projet de barrage hydroélectrique a obtenu gain de cause. Le sympathique proprio de l’épicerie/station-service, qui nous a renseignés et bien divertis le matin—nous avions passé la nuit dans son stationnement où nous avons aussi célébré notre 19ième anniversaire de bonheur mutuel sur et hors route!—, nous aiguille vers la piste de garnotte qui gagne Alta via les monts Bæskades, magnifique diversion de la 93 et superbe immersion parmi les pâturages d’hiver des rennes des siidas du coin…mais c’est encore l’été!
Wow…..ca fait tellement de bien de vous suivre…..Que la Route soit bonne pour Vous
Salut les ami e s autour de quelle date vous partez vers le sud , combien d heure de clarté a cette hauteur
Bon voyage
Ben le fun vous suivre
Serge
Bonjour Serge! Nous avons rejoint le Cap Nord donc à partir de maintenant c’est franc sud! En ce moment ici le soleil se lève à 3h30 et se couche vers 21h15 mais nous perdons plus de 10 minutes par jour. Ça change vite au 71ième! Merci pour tout. J+P