C’est l’un des pôles géographiques entre lesquels se déroulera cette odyssée vélocipédique et quelque 2825 kilomètres et 2 mois depuis notre point de départ, suivant un camp d’entraînement et la réalisation d’un fantasme de bourlingueurs en Norvège, nous avons atteint le Cap nord alias Nordkapp (71° 10′ 21” nord). Bien qu’un passage obligé dans le cadre du projet NOMADES², il s’agit d’une étape ou objectif symbolique pour grand nombre de pèlerins à vélo et y faisons nos dévotions avec une dizaines d’autres pédaleurs…et centaines de touristes, la plupart des croisiéristes catapultés en bus depuis le port d’Honningsvåg! Paraît-il que des centaines de milliers de visiteurs s’y rendent à tous les ans. Nous étions loin de nous douter que la géographie intéressait autant de gens!

Sur le plateau de Stokkedalen, la E6 s'immisce parmi les pâturages d'été des Sami de Kautokeino. Finnmark.
Sur le plateau de Stokkedalen, la E6 s’immisce parmi les pâturages d’été des Sami de Kautokeino. Finnmark.

Extrémité septentrionale de l’Europe ou non—Nordkapp se trouve sur une île faisant partie intégrante de la plate-forme continentale, Magerøya, dont le bout d’une autre pointe, Knivskjelodden (71° 11′ 08” nord), accessible par un sentier pédestre, s’étire encore un brin plus au nord…puis il y a la fin de la péninsule Nordkyn, dans les parages de Gamvik, plus à l’est, pour les partisans d’une fin du continent européen qui serait toute terrestre!—, il s’agit bien du point le plus au nord qu’aura atteint la caravane tout comme celui du réseau routier européen avec la E69 qui s’échoue sur cette falaise se dressant de tous ses 300 mètres devant l’océan Arctique. Assurément, l’aller-retour sur Magerøya à lui seul valait ce « détour » ou plutôt « cul-de-sac » : une piste cyclable type montagnes russes en plein Arctique! Désormais, nous mettons donc le cap vers le sud…jusqu’au bout de l’Afrique!

D'une altitude moyenne de 350 mètres, le plateau Repparfjorddalen et la E6. Finnmark.
D’une altitude moyenne de 350 mètres, le plateau Repparfjorddalen et la E6. Finnmark.

Plus au sud, justement, à Alta, là où nous avons rédigé le dernier billet, on besognait fort pour transformer le centre de la petite ville nordique en fil d’arrivée pour la deuxième étape de l’Arctic Race of Norway, course de cyclisme professionnel organisée par les bonzes et artisans du Tour de France. À sa deuxième édition et télédiffusée dans des dizaines de pays, la course en 4 étapes est déjà l’événement sportif que chouchoutent les Norvégiens. Durant ces quelques jours, tout le pays devient gaga pour la petite reine! Dès nos premiers coups de pédale sur la E6 puis en franchissant le plateau Stokkedalen, en plein pâturages d’été pour les rennes des Samis de Kautokeino, les voitures normalement silencieuses et plutôt discrètes nous klaxonnent et des bras en sortent pour approuver notre entreprise du pouce ou de la main!

Même si cette curiosité géographique est devenue l’objet d’un parc thématique et élément sacrosaint d’un culte païen voué à la gloire du soleil de minuit…et que nous sommes toujours en été, pour gagner le Cap nord, il faut d’abord rouler dans l’obscurité pendant une grosse demi-heure, franchir le tunnel qui relie Magerøya au continent.

Progressant ainsi jusqu’au plateau suivant, le Repparfjorddalen, avec ses bandes de rennes qui en ratissent les vastes étendues de toundra au large de la route, croisant voitures de police qui patrouillent la route temporairement fernée et dont les officiers nous invitent à nous garer dans le fossé, nous apercevons une arche gonflable avec une petite foule rassemblée, drôle d’arc-en-ciel au-dessus de la route : chrono final du sprint de l’étape du jour! Nous nous magnons en poussant sur le gros plateau, Éole collaborant, pour arriver à temps et assister au passage véloce des meneurs puis du peloton : « zziiiiiiiiiiiizzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz! »

Nos hôtes et nouveaux amis norvégiens, Trine et capitaine Kurt. Finnmark.
Nos hôtes et nouveaux amis norvégiens, Trine et capitaine Kurt. Finnmark.

Avec le soleil qu’on n’avait pas vu depuis belle lurette et tous ces amateurs en goguette, drapeaux de la Norvège et costumes festifs tout autour, nous sommes témoins d’un spectacle des plus réjouissants. Pendant qu’on s’affaire déjà à tout démonter et que d’autres continuent à fêter, nous reprenons notre chemin vers Nordkapp. Une douzaine de bornes plus loin, une bande rassemblée autour d’un feu se rue vers le bord de la route en nous apercevant. On est costumés, maquillés et réchauffés. Il y a un coq avec crête de fourrure qui agite un drapeau et un cow-boy qui fait de la bicyclette stationnaire sur l’accotement : c’est la journée du vélo en Norvège et nous faisons partie de la fête! On nous invite pour un café et gâteau, puis une bière, du vin, un souper, de l’aquavit, une douche et une couple de brassées de lessive, bref un méchant party à l’une des hytte de nos nouveaux amis et supporteurs ici, le capitaine Kurt et son équipage de joyeux naufragés!

KM 3110c
Rennes en vacances estivales sur la “Costa Arctica”. Finnmark.
KM 3110d
Destination Nordkapp le long du fjord Porsanger. Finnmark.

Suivant ces autres moments mémorables dans la vie de chalet en Norvège—« Nous nous sentons et agissons d’une autre manière quand nous sommes à la hytte. La semaine, nous travaillons et nous occupons de nos problèmes alors qu’ici, nous nous détendons et amusons : c’est la vie sans souci! » nous confie Vidar, l’un des joyeux lurons de cette bande vivant « normalement » à Hammerfest, à moins d’une centaine de bornes d’ici—, nous descendons la rivière Repparfjordelva jusqu’à Skaidi pour ensuite nous hisser par-delà un chaînon de montagnes dénudées jusqu’à Olderfjord, du côté du grand fjord Porsanger. Campons derrière un dépôt et débarcadère de pêcheurs à Smørfjord, puis filons droit vers le nord par vents et pluie arctiques jusqu’aux abords de Magerøya, l’île abritant Nordkapp. Même si cette curiosité géographique est devenue l’objet d’un parc thématique et élément sacrosaint d’un culte païen voué à la gloire du soleil de minuit…et que nous sommes toujours en été, pour gagner le Cap nord, il faut d’abord rouler dans l’obscurité pendant une grosse demi-heure, franchir le tunnel qui relie Magerøya au continent : un plongeon de plus de 200 mètres avec pentes de 9% et immersion de 7 kilomètres sous la mer, en fait, l’océan Arctique!

Ascension sous-marine et ténébreuse entre le contient et Magerøya. Finnmark.
Ascension sous-marine et ténébreuse entre le continent et Magerøya. Finnmark.
KM 3110f
Nordkapp, son globe et ses touristes. Finnmark.
KM 3110g
Prenons notre place parmi les hordes et faisons nos dévotions au Cap nord entre deux vagues de touristes. Finnmark.
KM 3110h
Les caravanes motorisées, dont chaque occupant a payé 245 NOK pour accéder au site, stationnées devant le soleil de 22h00 un certain 18 août. Finnmark.
KM 3110i
Sur la E69, cette piste cyclable arctique en montagnes russes qui prend en écharpe Magerøya, cap vers le sud. Finnmark.

Pour changer mais aussi et surtout pour nous imprégner encore plus du pays des Sami de la côte et tâter de nos roues la route 889, une autre qui figure sur la liste des 18 routes touristiques nationales de Norvège, nous nous sommes embarqués à Honningsvåg en destination d’Havøysund, l’une des dernières bourgades de pêcheurs baignées par la prodigieuse dérive nord-Atlantique. Pendant que nous déjeunons et faisons les emplettes au supermarché du port, nous sommes invités par Palmer, un pêcheur originaire de ce bled de l’Arctique—« Du sang viking, sami, russe et écossais coule dans mes veines! »—, à prendre une douche. Nous le suivons derrière son VTT jusqu’à la maison, de l’autre côté de l’anse, où il nous offre café par-dessus café et concocte canapés de saumon fumé et chicouté. Il nous invite à passer quelques jours chez-lui mais avec cette date de sortie de l’Espace Schengen qui nous pousse à avancer, nous devons refuser. Nous saluons et remercions notre hôte tout propres, les saccoches remplies de pots de chicouté fraîche et torskfisk, la fameuse morue séchée, et prenons la route…heureusement qu’il n’y a pas d’ours dans les parages!

KM 3110j
Monument marquant la visite du roi Olav V à Havøysund, en 1988. Finnmark.
KM 3110k
Le titre de route touristique national de Norvège oblige, aire de repos et toilettes conceptuelles se “confondent” avec le décor sur la 889, la route d’Havøysund. Finnmark.
KM 3110l
“Isolée et esseulée, la route d’Havøysund nous berce dans un grand bonheur vélocipédique.” Finnmark.
KM 3110m
Au réveil d’une nuit réparatrice et doucereuse à Snefjord, installés à une autre aire de repos “flyée” de la 889, nous faisons le plein en carburant à haut taux d’anti-oxydants: gruau à la chicouté! Merci Palmer! Finnmark.
KM 3110n
Cap vers le sud sur la 889 parmi son jardin arctique. Finnmark.

Isolée et esseulée, la route d’Havøysund nous berce dans un grand bonheur vélocipédique. Ce segment fait décidément partie de nos coups de cœur norvégiens! Tout y est arctique, primordial : de l’eau salée, des cailloux de toutes grosseurs, un véritable jardin minéral, des torrents cristallins et de la mousse et des lichens. Paradis d’été pour les rennes, gisent ici les pâturages des siidas de Karasjok, là où se trouve le parlement des Sames de Norvège et où nous venons juste d’arriver. En attendant les rencontres avec les représentants des différentes instances et institutions ici, nombreuses, nous goûtons à la cordiale hospitalité d’Engholm Husky, auberge sylvestre, mimétique et organique née des mains, du génie et de la passion de l’aventurier et musher Sven Engholm! Ayant remporté à 11 reprises la Finnmarkløpet, plus longue course de traîneaux à chiens d’Europe avec ses 1000 kilomètres, et terminé dans le top10 du fameux Iditarod (1800 kilomètres), Sven a réalisé avec sa meute et autres comparses des expéditions audacieuses en Sibérie, sur Spitzbergen et au Groënland. Chez lui, en bordure de la rivière Karasjok, dans l’un de ses chalets au design inspiré par la nature environnante et matériaux vivants, on a l’impression de faire partie du plateau de Finnmark…surtout quand se mettent à hurler en une sauvage harmonie ses 48 huskies!

KM 3110o
Weekend de Hobbits dans le chalet Reanga, chez Christelle et Sven d’Engholm Husky, à Karasjok. Finnmark.
KM 3110p
Qu’est ce que nos pâtes goûtent bon dans le chalet fait à la main d’Engholm Husky…faut y retourner l’hiver pour une expé de traîneaux à chiens sous les aurores boréales! Finnmark.

Sápmi: conclusion et bilan! (Oulu, Finlande - KM 3825)
Chasse aux rennes et...leurs éleveurs! (Alta, Norvège – KM 2560)

One Comment

  1. Pierroro, du Québec

    La lecture de l’article de Massicote paru dans LeSoleil m’a mené dans votre sillage. Je regrette mais à partir d’aujourd’hui vous devrez me traîner dans vos bagages.

    Bonne route et plein de belles rencontres et de merveilleuses découvertes … à “me” partager. Je salive déjà!

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