Sortir de l’Éthiopie en redescendant le cours de la rivière Omo puis entrer au Kenya en longeant le lac Turkana, à souquer sur des pistes de sable et sous un soleil de plomb parmi tribus de pasteurs belliqueux, bergers filiformes se matérialisant et dissipant au milieu de ce désert avec leurs accoutrements-uniformes et kalachnikovs, tient d’une équipée en bonne et due forme: passages transfrontaliers par la porte d’en arrière! Ces grands efforts et petits supplices ont quand même l’effet d’une libération voire une rédemption en mettant ainsi un terme à notre cauchemar éthiopien…

Éthiopie: l’exception…

« Nous, les Éthiopiens, ne méritons pas l’Éthiopie! » jeune entrepreneur patriotique de Mékélé, Tigray.

Comment se fait-il que la vulnérabilité évidente de la voyageuse ou du voyageur à vélo, qui ouvre cœurs et portes partout ailleurs—ce que nous avons vérifié en tout cas dans près de 80 pays—, la règle, devient la faiblesse à exploiter en Éthiopie? Convaincus que débarquer dans une communauté sur un vélo chargé est la manière la plus pacifique de se présenter en tant qu’étrangers, les locaux souvent étonnés mais surtout rassurés quant à nos intentions qui nous abordent, questionnent puis offrent leur soutien—théorie maintes fois vérifiée aussi!—, nous avons été choqués de constater dans la campagne éthiopienne, fabuleuse contrée par surcroît, qu’on profitait plutôt de notre lenteur et ouverture caractéristiques, l’accessibilité qu’elles procurent, pour mieux nous harceler. Dès que nous roulions sous les 10km/h, et c’est arrivé souvent dans ce pays de montagnes, on y allait de ses demandes outrancières et obsessives, gravitant toutes autour de considérations matérialistes. Attristés aussi d’avoir eu la nette impression que la seule manière de vraiment établir une relation avec ces paysans aurait été de leur faire un don! Mais encore aurait-il été suffisant? Et ces enfants qui nous poursuivaient sur des kilomètres, nous embusquant depuis un talus ou encore au détour d’une courbe, lançant pierres—tiens, j’en ai reçue une sur la tête par des p’tits morveux qui nous suivaient, à la montée vers Key Afar, à deux jours de notre sortie de l’Éthiopie, tout ça devant plusieurs dizaines d’adultes de la tribu Banna qui socialisaient autour d’un puits aménagé par une ONG européenne et trouvaient la scène divertissante…—, s’agrippant à nos vélos, jouant du fouet à notre passage et donnant coups de bâton sur les sacoches. Tous les jours…et pourquoi?

Si ces mauvais traitements étaient l’apanage d’une région ou deux, on pourrait tâcher de les éviter, contourner en attendant qu’on adopte une attitude moins hostile. Mais nous avons pédalé pendant 10 semaines et parcouru près de 2500 bornes en Éthiopie et dans toutes les zones rurales où nous avons roulé—à part celle des églises rupestres du Tigray, entre Adigrat et Mékélé, où une campagne de sensibilisation a fait le tour des écoles—, nos rapports avec les paysans ont été marqués par ces désagréments. La littérature de voyage d’aventure et les blogues d’aventuriers à vélo en Éthiopie évoquent tous ces difficultés majeures rencontrées sur les routes et sentiers à évoluer à basse vitesse, marcher ou pédaler! Et pourtant, ce pays rassemble tous les éléments pour devenir un paradis pour la pratique de ces activités! Heureusement que parmi les destinations de la planète Vélo, l’Éthiopie demeure une exception…

KM 15800a
Comprimés de doxycycline dans mes sacoches pour traiter une infection au typhus contractée par piqûres de puces, nous quittons notre repère à Arba Minch, l’hôtel Forty Springs, et mettons le cap vers Konso, la vallée de la rivière Omo et…le Kenya! Le lac Chamo, séparé des eaux brunes du lac Abaya par le « pont des dieux », ce barrage naturel créé par une ancienne coulée de lave, occupe le fond du Grand rift africain. Ses crocodiles, gavés de tilapias, font souvent plus de 6 mètres de long! Nous lançons donc et plongeons droit devant…sur la route! Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800b
En périphérie d’Arba Minch et parc national Nechisar, un dépotoir de fortune fait le régal et bonheur d’une bande de babouins bien attablés! Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800c
Janick salue et encourage une consoeur chargée, en route vers Konso. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800dd
À Konso comme partout ailleurs dans le pays, à l’approche de Meskel, fête religieuse et deuxième plus importante célébration du calendrier éthiopien, moutons, chèvres et volailles voyagent vers les foyers où on les sacrifiera pour le festin d’usage. Marquant la présumée découverte de la poutre horizontale de la croix du Christ, on se regroupe et festoie autour d’un feu coiffé d’une croix décorée de fleurs. Pour l’occasion, les prêtres paradent vêtus de leurs plus somptueux apparats et bandes de jeunes hommes font du porte à porte, dansant et chantant au rythme de bâtons de bois qu’ils frappent ensemble, en échange de dons. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800e
Dans un village du pays Konso, réputée pour ses agglomérations fortifiées et terrasses en pierres, le résultat d’une ingénieuse adaptation à ce milieu aride, on procède à la distribution de la viande. Chrétiens comme Musulmans viennent chercher leur ration. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800g
Franchissons le pays de Konso, région aux climat sec, relief accidenté et terrasses en pierres. Asphaltée, la route oscille allègrement jusqu’à la descente vers la vallée de la rivière Weyto. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800h
La vallée de la rivière Weyto est plantée de coton. Le projet hydroélectrique et rêve national du barrage Gibe III, sur le cours de la rivière Omo, comporte l’aménagement de vastes territoires de la vallée, utilisés par nombre de tribus, pour cultiver le coton et la canne à sucre. Des programmes de relocalisation sont en branle… Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800i
Ces compagnes de route éthiopiennes qui nous manqueront. En territoire Tsemay, en route vers Key Afar, nous croisons bovines autonomes. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800j
Pas que du coton dans la vallée de la Weyto! De jolies fleurs et d’imposantes termitières! Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800k
Sur la route entre Key Afar et Turmi, à l’approche de Dimeka, rencontrons un duo père-fils de la tribu Hamer. À peine visible sur cette photo, papa arbore la plume d’autruche en guise de couvre-chef et tous deux trimbalent leur borkoto, légère sculpture servant à la fois d’appuie-tête et siège miniature…l’outil de repos qu’on traîne partout! Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800l
Se dirigeant au marché de Turmi, de jeunes femmes de la tribu Hamer, dans leur accoutrement des grandes occasions, demandent à se faire photograhier par le voyageur, moyennant une modique somme, bien sûr! Les femmes de cette tribu de la vallée du Bas-Omo s’enduisent les cheveux d’ochre, eau et résine pour se faire de courtes tresses, des goscha. Les Hamer vivent de l’élevage de bovins et caprins ainsi que de la culture du sorgho, millet, légumes, tabac et coton. On pratique également l’apiculture. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800m
Réparation d’une crevaison en compagnie de jeunes bergers Dassanech. Ayant bien observé nos manœuvres et profitant d’un moment d’inattention, avec grande témérité, les p’tits garnements ont pris leurs jambes et ma lampe frontale filant côté jardin d’épines. Je me suis lancé à leur poursuite, une course effrénée d’une quinzaine de minutes, en vain. Comme l’incident est survenu au KM 165 de la route, une vingtaine de bornes seulement d’Omorate, nous avons rapporté le délit à la police, en leur montrant cette photo pour l’identification des suspects…euh, coupables. Zoom sur les binettes que photographie un officier avec son cellulaire. On raconte qu’on n’a pas de moyens de transport mais qu’on tâchera de se débrouiller. 2 heures plus tard, nos deux limiers débarquent à notre p’tit hôtel sur une moto qu’on disait avoir louée…avec ma Petzl! L’un des gamins la portait autour du bras, exactement à la borne kilométrique où il nous l’avait dérobée! On nous demande donc de débourser 600 birrs pour l’essence, la location de la moto et leurs services de policier. Nous négocions, affirmant bien vouloir rembourser l’entièreté des frais de transport mais que nous consentions qu’à leur donner un pourboire afin de leur témoigner notre appréciation—une lampe frontale est l’une des pièces importantes pour le nomadisme que nous pratiquons! Nous nous entendons donc pour la moitié soit 300 birrs (±15 USD). Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800mm
Bien qu’un pont relie désormais les deux rives de l’Omo, nous devons nous embarquer sur une chaloupe, se compliquer la vie et payer l’association des guides d’Omorate (100 birrs) pour franchir cette étape importante de notre sortie de l’Éthiopie. Nous avons perdu plus de 90 minutes, la température de cette fournaise grimpant, à tenter à 3 reprises de rouler sur le pont! Essuyant un premier refus par l’officier agressif, nous sommes revenus avec un agent d’immigration—c’est à Omorate qu’on obtient le tampon de sortie—, en vain aussi, puis revenus avec un officier de police, même rengaine! Tout ça pendant que de nombreux locaux le traversent à pied. D’autres nous apprendront plus tard qu’ils le traversent en jeep depuis que les travaux sont complétés. Nous avons compris que le lobby de l’association des guides, voulant continuer à profiter de leur monopole du transport des touristes—on va visiter les villages Dassanech sur la rive ouest de la rivière—, prévaut toujours…une frustration supplémentaire, une toute dernière, pour nous ici! Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800mmm
Sur la rive occidentale de l’Omo, à avancer contre bourrasques, pousser dans le sable et avaler de la poussière, derniers coups de pédale en Éthiopie, le temps de nous hisser sur le monticule où est érigé le poste de police éthiopien. Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800n
Derniers coups de pédale en Éthiopie mais pas les derniers efforts! Les bâtiments blancs des autorités kényanes sont visibles à l’horizon… Région des nations, nationalités et peuples du Sud, République fédérale démocratique d’Éthiopie.
KM 15800o
Karibu! La police frontalière kényane nous souhaite la bienvenue et nous accueille pour la nuit dans l’enceinte de cet avant-poste des plus paumés. On nous propose de monter la tente sur une dalle de béton que ne peuvent atteindre les gros scorpions qui abondent, seulement leurs rejetons qui se faufilent et grimpent partout à des vitesses impressionnantes. Inoffensifs les p’tits! On nous apporte l’eau pour faire notre toilette et cuisiner. « Nous regarderons vos documents demain matin! Bonne nuit! » nous lance le commandant en charge. Chose faite, on nous remet à la route en nous instruisant d’aller nous faire estamper à Eldoret, à quelque 400 bornes et une très grosse semaine d’ici tellement la route est en piètre état! Asante! Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800p
À 10 kilomètres du poste de police, débarquons à la mission de Todonyang, au service des âmes des pasteurs Turkana du coin, au son des cloches de la fin de la messe dominicale. Nous pénétrons l’enceinte sécurisée pour prendre une pause et faire le plein en eau, information. On nous accueille chaleureusement ici aussi et nous installe dans le bureau du curé Andrew, un conteneur recouvert de tapisseries locales et abrité sous une immense hutte ornée et scellée…impressionnante structure à l’air ambiant frais et réconfortant! De retour dans les 40 degrés, nous apprécions cette trêve. « Comment puis-je vous aider? » demande un jeune homme aux shorts et chemise parfaitement pressées. « Vous aimeriez que je vous donne un lift? Nous quittons dans moins d’une heure pour rendre visite aux sœurs du couvent de Lowarengak, une vingtaine de kilomètres sur votre chemin, puis poursuivons jusqu’à la mission de Nyesi, une autre vingtaine de kilomètres plus au sud…ça vous dit? » offre le prêtre. « Volontiers! » lui répondons-nous d’une seule voix. C’est ainsi que nous avons passé un dimanche à dîner avec des nonnes type Whoopi Goldberg, un vértable festin pour nous—poulet, frites maison, chapatis et mangues—, discuter d’actualités kényanes et nous faire secouer le squelette sur cette route abominable. Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800q
L’abbé Peter, à la mission terminus, nous a conviés à camper derrière l’un des bâtiments de son campus religieux. De bonne augure ces premières rencontres kényanes! Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800r
Il y avait longtemps que nous avions échangé et sympathisé avec des villageois en prenant une pause de bord de route…réconforte et fait du bien! Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800s
En route vers le chef-lieu de Kalokol, le lac Turkana rarement visible à bâbord au-delà des dunes hérissées d’acacias et autres buissons d’épines, la piste de sable se faufile parmi bomas (villages fortifiés) et leurs bandas, ces huttes de chaume circulaires qui ont la forme de panier ici. Nos Michelin Grip’R 2.35 mordent bien et nous sauvent plusieurs courbatures qu’occasionnerait tirer sur de plus longues distances nos montures. Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800t
Comme le lac Turkana, qu’on a surnommé la mer de Jade, est salé, l’eau fait l’objet d’une quête incessante ici. Plusieurs riverains creusent des puits de quelques mètres de profondeur dans le lit de rivières asséchées et ensablées, une pratique périlleuse en raison des risques d’effondrement des parois…de sable! Sinon, l’eau provient de camions-citernes qui parcourent des centaines de kilomètres pour effectuer leur livraison. Notre jeune cycliste arrivait de l’un de ces puits de surface dans le lit de la rivière juste au nord de Kalokol. C’est un voyage de 100 litres d’eau! Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800u
Plein d’essence pour notre réchaud MSR XGK EX à la station-service de Kalakol. Plus important village sur la rive ouest du lac Turkana, c’est le point de départ des perches du Nil pêchées dans ses eaux vers l’aéroport de Nairobi et les marchés européens. En raison de l’état lamentable dans lequel se trouve la route jusqu’à Kitale, c’est un voyage long et coûteux. Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800v
À l’approche de Lodwar, nous roulons en compagnie de femmes Turkana des villages environnants qui s’en vont faire des emplettes. Toujours élégantes dans le désert avec leurs tuniques et dizaines de colliers colorés. Comté de Turkana, République du Kenya.
KM 15800x
Lodwar, capitale de comté, se donne des airs d’avant-poste, cantonnement d’ultime frontière. Ce dépaysement nous plaît particulièrement…l`Éthiopie nous semble déjà bien lointaine! Comté de Turkana, République du Kenya.

 

Safari en pays nomades! (Ranch Borana, Kenya - KM 16 405)
Éthiopiques vélocipédiques vol. III! (Arba Minch, Éthiopie – KM 15 130)

One Comment

  1. Pierroro, du Québec

    Ai bien hâte de lire vos commentaires “live” du Kénya … vous ennuyez-vous des cailloux Éthiopiens, les ti-vlimeux?

Rédigez un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *