Karasjok aura été généreuse à notre égard et notre escale dans la capitale des Samis de Norvège fructueuse. Après l’hospitalité d’Engholm Huskies où nous avons passé un weekend magique, c’est au tour de l’hôtel Rica de nous appuyer. Grand amateur de cyclisme—il était à la tête d’une délégation locale qui s’est tapé 750 bornes pour aller assister aux 2 premières étapes de l’Arctic Race of Norway…et y faire voler le plus grand drapeau sami du monde : 75 mètres²!—, son directeur nous invite à ériger nos quartiers dans le confort de son établissement, le temps de mener quelques enquêtes dans les parages. Au terme de maintes scrutations à la bibliothèque et entretiens avec employés du parlement des Samis de Norvège, nous remontons une piste qui nous conduit vers Margrethe Vars, une employée du musée Sámiid Vuorká-Dávvirat qui en sait long au sujet des pérégrinations sames parmi les vastes étendues du comté de Finnmark. Issue d’une famille d’éleveurs de rennes, elle se confie avec éloquence devant nos caméra et microphones. Nous buvons ses paroles et aurions pu l’écouter pendant des heures tandis qu’elle décrit avec passion les 8 saisons des nomades sames, l’évolution du rôle des femmes au sein de ces entreprises familiales en mouvance et comment on se passe aujourd’hui le flambeau de génération en génération. Margrethe dresse aussi la liste des intégrations technologiques des dernières décennies, élabore sur leurs répercussions et identifie les pressions d’ordres environnemental, économique et administratif qui pèsent sur ce mode de vie traditionnel. Son témoignage précise et humanise la représentation que nous nous sommes fait du nomadisme que pratiquent les éleveurs de rennes Samis aujourd’hui. Nous savons désormais que ces migrations cycliques se déploient sur de grands territoires ici, tout comme pour les Samis de Suède, mais qu’en est-il pour les Samis de Finlande?
20 kilomètres plus à l’est sur la route 92 et en aval sur le cours de la rivière Karasjok, au village frontalier de Karigasniemi, nous obtenons des éclaircissements. Nous n’avons rien à déclarer à la douane mais nous garons quand même devant le bâtiment aux vitres réfléchissantes car nous avons un rendez-vous avec l’ami sami d’une amie charlevoisienne, Sampo Niityvuopio, un douanier éleveur de rennes!
-« Toutes mes vacances sont consacrées aux rennes. Si je suis ici, c’est qu’il n’y a pas de travail à accomplir avec le troupeau! » répond-il avec bonhomie et entrain bien que nous le soupçonnons souhaitant plutôt nous rencontrer en congé, dans les bois et entourés de ses cervidés!
-« Quand il y a des tâches à réaliser justement, que ce soit dans les pâturages d’été ou hiver, vous campez pour un temps là-bas, parce que c’est loin d’ici, ou…? » nous lui demandons.
-« Non, pas besoin, sinon par pur plaisir! Nous pouvons revenir chez-nous à la fin de chaque journée de travail avec les rennes, été comme hiver. Les territoires de chacune des coopératives ne sont pas si grands et le nôtre se trouve tout près. Faudra revenir à un autre moment pour s’y amuser ensemble! » nous renseigne et invite-t-il…
Depuis la fermeture de la frontière ente la Norvège et la Finlande en 1852, les Samis du nord qui se déplaçaient entre les deux nations ont dû faire un choix. Ceux qui ont élu la Finlande ont aussi mis un terme à leurs migrations entre pâturages d’été sur la côte de la mer de Barents et pâturages d’hiver dans la forêt boréale tapissant le bassin du lac Inari, au nord de la Finlande. Ainsi, les territoires répartis entre les familles d’éleveurs sont beaucoup plus restreints et clôturés. Les chanceux ont accès aux sommets dénudés et bondés de lichens des fells ou tunturis, ces vestiges de hautes montagnes; les autres se contentent des basses terres et complètent l’alimentation de leurs troupeaux avec fourrages et céréales. Comme en Norvège et en Suède, où les populations sames sont plus grandes, moins de 10% des Samis de Finlande pratiquent l’élevage des rennes, une activité agro-économique de plus en plus réglementée…
Sampo nous prescrit un endroit où camper, une dizaine de kilomètres plus loin sur notre chemin, un abri avec vue sur un lac. C’est bienvenue, d’autant plus que le ciel est menaçant, mais n’arrivons pas à le trouver et roulons sous la pluie jusqu’au stationnement du sentier Kevo, piste de 65 kilomètres franchissant le canyon éponyme, en bordure de la 92. Quelques voitures abandonnées par des randonneurs et caravanes motorisées s’y trouvent. Dodo sous la tente avec parfums d’automne! Sommes invités le lendemain matin par un sympathique couple de retraités français à boire le café dans leur chalet sur roues. Résidant dans le midi, ils fréquentent la Scandinavie et surtout la Laponie depuis les années 1970 : « Fait une chaleur insupportable chez-nous, l’été! » Refaisons le monde avec Monique et Georges puis on nous remet à la route avec pâté de campagne, paquets de biscuits et sacs de café dans les sacoches…du carburant pour la suite!
La 92 file tout droit et oscille allègrement parmi les arpents de taïga qui l’engouffrent. Les feuilles des p’tits bouleaux jaunissent, les champignons sont légions et les bleuets sont pulpeux! Jusqu’à Kaamanen où la route s’unit à la E75, qu’une poignée de postes d’accueil de campings et chalets touristiques rustiques dont la moitié sont fermés en cette fin d’été—la saison se termine autour de la mi-août, ici—et des clôtures aux fanions bigarrés marquant les limites entre différents territoires d’élevage de rennes.
Cheminons vers le sud et Inari, agglomération same sise sur les rives du lac du même nom, à l’embouchure de la rivière Juutua. C’est ici que siègent les élus du Sámediggi, le parlement des Samis de Finlande. Nous nous installons à l’historique hôtel Inarin Kultohavi, le temps d’une session intensive en ligne visant l’organisation de notre sortie imminente de l’Espace Schengen, et poursuivons sur la E75 vers le sud. Dans la p’tite ville d’Ivalo, faisons le plein dans les hypermarchés en compagnie de nombreux résidents de Murmansk, venus de la Russie d’à côté pour s’amuser dans les parcs nationaux et centres de villégiature de leurs voisins. À Saariselkä justement, station de montagne 4 saisons aux pieds d’un ramassis de tunturis, les Russes sont omniprésents en ce premier weekend d’automne. Beaucoup de cyclistes aussi puisque sévit la Saariselkä MTB 2014. Espérons y rencontrer un mécano qualifié car la roue arrière de Janick en arrache depuis la rotation des pneus effectuée chez Engholm Huskies : franchement fausse! Ratissons le village en vain et Pierre met la main à la jante et rayons. C’est satisfaisant et devrait nous conduire vers la prochaine ville, Sodankylä…
Roulons ainsi en gardant les doigts croisés, descendant de ce magnifique plateau bosselé de cimes et arêtes pelées, et franchissons ainsi une importante ligne de partage des eaux : désormais, tout ce qui tombe du ciel coule vers le golfe de Botnie et la mer Baltique…vers le sud! À Vuotso, village same le plus méridional de la Laponie finlandaise, pédalons entre les réservoirs Porttipadhan et Lokan, réceptacles des sources du fleuve Kemi que nous suivrons jusqu’au golfe de Botnie. Quelques dizaines de kilomètres plus au sud, près de Peurasuvanto, érigeons notre campement en bordure de la rivière Kitinen. Tête à tête spectaculaire avec la nature : sans moustique, l’un des premiers couchers de soleil de cette odyssée et…premières aurores boréales!
Dès que nous gagnons Sodankylä, nous tâchons de dénicher un vélociste avec mécanicien compétent. Tombons sur un passionné et grand adorateur de la petite reine, un mécano invétéré qui remet vite la roue en orbite autour de son moyeu. Remet le pneu et le gonfle puis voilà que la roue se contorsionne et rend l’âme! Procédons à l’autopsie et remarquons tout de suite qu’une couple d’oeillets à la surface ont explosé sous la tension et qu’une faille parcourant toute la circonférence de la jante la minait de l’intérieur, bien dissimulée sous le ruban…mystère et sérieux problème! Notre mécano se gratte le crâne puis nous propose d’acheter la roue de l’un de ses 10 vélos. Concluons le marché et, délestés de 100 euros et 4 rayons—J roule maintenant sur une Mavic 317 Disc 32 rayons—, filons vers Rovaniemi où nous franchissons le cercle arctique polaire pour la deuxième fois de cette odyssée vélocipédique…reste les deux tropiques et l’équateur à croiser et recroiser! D’un même coup de pédale, évacuons le premier territoire nomade de l’expédition, une région qui nous aura envoûtés et inculqué maintes leçons, Sápmi…
Toujours à Rovaniemi, nous visitons l’impressionnant Arktikum, centre de découvertes et expositions sur l’Arctique explorant la région polaire sous tous ses angles, et rejoignons le cours du Kemi que nous descendons jusqu’au littoral du golfe de Botnie. Nous évoluons sur la E75 qui se fond à la E8, principalement sur des segments de pistes cyclables qui finissent par former un tracé en continu à mesure que nous progressons vers le sud et qu’augmentent la quantité d’usagers de la route et densité démographique. Aboutissons ainsi à Oulu, considérée la capitale administrative, culturelle et commerciale de la Finlande du nord et du centre. C’est d’ici, à une semaine de la date limite de notre permis de séjour dans l’Espace Schengen, que nous entamons la séquence de déplacements la plus décousue de l’expédition…nous espérons!